Clowns Sans Frontières © Jethro Massey – Haïti 2014

Plaidoyer

Pour une politique de solidarité internationale inclusive de l’enfance et de la culture

Les 17 et 18 février 2021, dans le cadre de l’ouverture des débats publics à l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif au développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales (LOP-DSLIM), Clowns Sans Frontières a interpellé 34 parlementaires afin que les enfants et la culture soient remis au cœur de la politique de la solidarité internationale de la France. Depuis 27 ans, par son expertise sur le terrain en matière d’action artistique en contexte humanitaire, le fer de lance de l’association est de mettre en lumière la capacité de résilience que développent les enfants en situation de vulnérabilité lorsqu’ils ont accès à l’art.

En 2014 a été votée la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI). Prévue pour une durée de cinq ans, elle devait être révisée en 2019. Le projet de révision de « loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales » est finalement entendu à l’Assemblée nationale, ce 17 février 2021.

Clowns Sans Frontières, est préoccupé de la disparition, dans le projet de révision de la loi, des enfants comme public prioritaire que souhaite protéger la loi mais également de la culture comme outil d’endiguement des inégalités mondiales. Nous demandons le maintien de la loi de 2014, pour des raisons de sécurité juridique, afin que soit toujours reconnue la vulnérabilité du public que représentent les enfants et que la culture continue à apparaître comme un outil de développement solidaire.

L’importance de mettre la solidarité au cœur de la politique française à l’international

Ce projet de loi se veut plus engagé que la loi de 2014 dans l’action de la France auprès de ses homologues étrangers, notamment dans les domaines de coopération et de solidarité internationale. Nous regrettons cependant le retard qu’a pris la rédaction de cette loi. En effet, le gouvernement a mis un frein à l’élaboration du projet de loi face à l’urgence sanitaire due à la pandémie de la COVID-19. Or, la crise sanitaire aurait pu être un véritable moteur pour la France afin qu’elle puisse s’affirmer sur la scène internationale aux côtés de la société civile comme un acteur puissant et véritable de la solidarité.

La pandémie actuelle fragilise les populations en France et à l’étranger. Par-delà les conflits armés, les crises humanitaires, écologiques et sanitaires, les populations, en particulier les enfants, sont exposées à des conséquences graves sur leur santé psychique et physique.

La France doit prendre un engagement ferme vis-à-vis de ces problématiques et en faire des priorités de sa politique à l’international. Au-delà de la solidarité, si la politique de développement solidaire de la France se veut ambitieuse et holistique, elle se doit d’impliquer les droits des enfants et les questions culturelles. Les droits des enfants sont bafoués chaque jour. Ils se retrouvent à la rue, sont témoins de guerres, font l’objet de déplacements forcés, trouvent refuge dans un camp ou sont victimes de réseaux de traite des êtres humains. Afin de préserver leur santé mentale, il est primordial que la France puisse également répondre à leurs besoins de soutien moral et psychique en soutenant des acteurs de la société civile favorisant l’accès à l’art et à la culture. En effet, dépourvus de soutien psychosocial, les enfants mais également la société dans son ensemble sont exposés à des conséquences graves : difficultés d’insertion sociale, menace pour l’équilibre familial et sociétal, risques de développement de troubles psychiques, etc.[1].

Une ambition centrée sur les enfants et la culture

Afin d’atteindre d’ici 2030 les objectifs de développement durable sur lesquels la France s’est engagée, elle doit porter attention à ceux qui ont une voix souvent peu entendue, voire inaudible :  les enfants. A travers le monde, chaque enfant doit pouvoir avoir accès à ses droits et les revendiquer. La France, par sa signature à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), s’engage à ce que chaque enfant puisse profiter pleinement de son enfance et notamment à favoriser « le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité. » (article 31 de la CIDE). Aujourd’hui plus que jamais, l’urgence des violences simultanées que connaissent les enfants nous pousse à agir !

Permettre aux enfants de vivre en bonne santé et promouvoir leur bien-être est essentiel au développement durable. Cela passe par une promotion et une mise en œuvre effectives d’un accès à la culture. Cette prévention primaire, définie par l’Organisation mondiale de la Santé, visant à diminuer les conséquences psychiques des agressions subies, contribue notamment à apporter à travers le rire et le spectacle, un soutien psychosocial à des populations victimes de crises humanitaires ou en situation de grande précarité, en premier lieu les enfants comme le promeut notre association.

Ces enfants ont tendance à grandir trop vite, exposés à des préoccupations et des sources de stress qui ne devraient pas être les leurs. La mission de la France est de protéger cette part d’enfance surtout quand leur contexte de vie les a forcés à la mettre de côté pour résister à la brutalité du quotidien. L’art possède un pouvoir transformateur sur les personnes qui le pratiquent.

Par une posture centrée sur une solidarité culturelle, la France aura un réel impact sur le bien-être des enfants en leur donnant accès au plaisir esthétique, sensoriel, émotionnel. Lorsque des personnes se réunissent autour de pratiques culturelles ou artistiques, elles créent du lien tant pour l’équilibre individuel que collectif. Plusieurs chercheurs ont démontré que la présence des émotions positives, notamment provoquées par la pratique artistique et culturelle, dans la vie quotidienne peut non seulement améliorer la santé mentale, grâce à de meilleures stratégies d’affrontement du stress, mais aussi la santé physique par la consolidation des systèmes immunitaire et cardiovasculaire[2].

Pour toutes ces raisons, Clowns Sans Frontières demande instamment aux parlementaires de plaider en faveur :

  • du maintien en vigueur de la loi de programmation de 2014 afin que la culture et les enfants restent au cœur de la politique solidaire de la France. Par souci de sécurité juridique, il convient de préciser expressément dans le présent projet de loi que les dispositions de la loi de 2014 demeureront malgré la substitution d’une nouvelle loi de programmation.
  • de l’intégration d’un soutien plus appuyé aux projets artistiques et culturels à travers le monde comme levier de soutien psychosocial. La France participerait fortement à l’objectif de développement durable n°3 de l’Agenda 2030 pour donner aux individus, spécialement les enfants, les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être à tous les âges.

[1]INEE, Note d’orientation : Le soutien psychosocial, facilitation du bien-être psychosocial et de l’apprentissage social et émotionnel, 2018 https://inee.org/system/files/resources/INEE%20Guidance%20Note%20on%20Psychosocial%20Support%20FR_0.pdf

[2]Reed, B., Hu, S. & Tugade, M. M. (2017). « Émotions positives et résilience : effets des émotions positives sur le bien-être physique et psychologique. » Revue québécoise de psychologie, https://doi.org/10.7202/1040768ar