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Retour sur la conférence « De drôles d’humanitaires »

Clowns Sans Frontières était invité mercredi 26 février 2020 à Sciences Po pour une conférence débat à l’occasion du 30ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant et des 25 ans de CSF.

Animé par le journaliste et comédien Hervé Pauchon, cet événement a réuni Antonin Maurel,  fondateur de Clowns Sans Frontières, Philippe de Botton, président de Médecins du Monde et partenaire de CSF, Luc Briard, diplomate et ancien administrateur de CSF et Isabelle Fiévet, déléguée générale de la Fondation Bel.

Retour sur cette conférence hors du commun…

Une facette indispensable de l’humanitaire

« De drôles d’humanitaires » – un nom choisi pour échanger autour d’une forme peu connue de l’humanitaire mais pourtant essentielle. Les situations humanitaires, qui ont grandement changé ces dernières années selon Philippe de Botton, présentent de nouvelles difficultés auxquelles le secours logistique et matériel ne peut suffire à répondre. « Les conflits du monde aujourd’hui durent si longtemps que la souffrance mentale doit être au premier plan de notre action humanitaire». C’est là toute la mission de CSF : utiliser le rire et l’art pour créer un espace où il est possible de souffler, de se libérer du quotidien, de recréer de la vie après la survie. « Nous partageons la même vision. Notre action est extrêmement complémentaire. »

Sur les zones de développement, la spécificité de cette action est aussi qu’elle tend à s’inscrire dans la durée à travers le renforcement de compétences des artistes locaux pour développer et pérenniser une action artistique locale sur les terrains d’intervention et permettre à terme le retrait de CSF. Philippe de Botton insiste d’ailleurs : « On ne peut plus faire de l’humanitaire comme avant. Il faut travailler et former la société civile locale. »

Initialement adressée à des populations affectées par des crises humanitaires, victimes de marginalisation ou en situation de grande précarité, l’action de CSF bénéficie par ailleurs aux humanitaires eux-mêmes. Elle permet en effet de débloquer certaines situations comme l’ouverture d’un enfant au dialogue et aux soins grâce au spectacle comme en témoigne Antonin Maurel. Elle permet aussi d’assurer un soutien psychologique aux humanitaires qui interviennent dans des conditions difficiles, un effet secondaire extrêmement positif selon Philippe de Botton.

Un rôle diplomatique et de plaidoyer

Luc Briard, quant-à-lui, diplomate et ancien directeur du Centre culturel français de Gaza, a rencontré et compris le rôle de CSF en observant l’intervention dans ce territoire confronté à des situations politiques ambiguës, où séparation entre les enfants dont les parents soutiennent le Hamas ou le Fatah, et difficultés d’accès à des zones contrôlées par les militaires israéliens, compliquent encore l’action humanitaire. « Ils sont des acteurs de la diplomatie là où la diplomatie d’Etat ne peut agir. » Véritables intermédiaires, le rôle des clowns est aussi de porter un message, d’apaiser les tensions, de favoriser les conditions du dialogue ou de la rencontre.

Au-delà d’un rôle d’intermédiaire, CSF porte un combat plus général de plaidoyer sur le terrain ou dans le secteur de la solidarité internationale : celui du droit à l’enfance pour tous et à tout âge. Pour Antonin Maurel, le droit à l’enfance c’est le droit à l’innocence, au rire, au jeu, à la liberté d’imaginer et de s’émerveiller. Trop d’enfants en sont pourtant privés alors même que ce droit est fondamental pour leur construction personnelle. C’est justement car le droit international n’a pas théorisé ces concepts qu’il est difficile de les défendre sur des terrains en crise. Selon Luc Briard, bénéficier d’un cadre juridique permettrait à la fois de légitimer notre action et d’en reconnaitre l’aspect fondamental : l’humanitaire culturel est complémentaire à l’humanitaire matériel.

Un processus d’apprentissage continu

Loin de la caricature des artistes utopistes bien-pensants, Antonin Maurel rassure sur le fait que CSF a bien conscience de la difficulté de trouver une posture d’intervention adaptée aux terrains concernés. Une aventure humanitaire mises bout à bout par des artistes bénévoles est un terrain d’apprentissage continu qui laisse parfois place à des erreurs, dont on apprend, et qui viennent renforcer la qualité de nos interventions. Le questionnement doit être au centre du processus.

Cracher de l’eau à la figure d’un clown devant le public quand l’eau se fait rare, compter jusqu’à trois avec les doigts pour finalement faire sans le savoir le signe de victoire serbe pendant les conflits à Sarajevo, remarquer en plein milieu du spectacle que des personnes ont fait payer l’entrée à tous les enfants avant leur arrivée sur le lieu… Tant d’aléas qui supposent d’améliorer sans cesse notre connaissance des zones d’interventions et de leur contexte et de trouver les bons interlocuteurs sur place pour organiser nos actions, raconte Antonin Maurel.

Trouver des financements durables

A cause de son positionnement perçu comme « insolite », les projets de CSF sortent souvent des cases prévues dans le cadre des financements publics et privés. Pour Isabelle Fiévet, il est pourtant fondamental de soutenir des projets dont on sait qu’ils vont apporter une solution durable sur le terrain. Le financement des projets sur le long terme est donc une difficulté majeure quand on sait que la guérison psychologique est elle-même un processus qui prend du temps et qui suppose un accompagnement sur le long terme.

C’est là encore, insiste Luc Briard en s’adressant aux étudiants de Sciences Po, qu’un cadre international délimitant les concepts de droit à l’enfance doit être débattu et consolidé car il permettrait à CSF ou d’autres ONG de l’humanitaire culturel de justifier de la pertinence de leurs actions pour obtenir plus facilement des financements et assurer la durabilité de leur action.