Contexte
L’Équateur, l’un des plus petits pays d’Amérique latine, est également la nation qui a accueilli le troisième plus grand nombre de Vénézuéliens[1] depuis le début de l’exil en masse de cette population. A partir de 2013, et après la mort de Hugo Chavez, le Venezuela connaît une grave crise économique à laquelle s’ajoute une crise politique et sanitaire qui pousse sa population à immigrer en priorité dans les pays voisins. Le Venezuela a vu son PIB chuter de 80 %. Les pénuries d’alimentation et de médicaments, les pannes d’eau et d’électricité, l’hyperinflation, la pauvreté, l’insécurité et la répression politique ont poussé les Vénézuéliens de toutes classes sociales confondues à fuir leur pays. Cependant, la majorité des Vénézuéliens en Équateur, principalement des familles accompagnées d’enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, n’ont pas un statut d’immigration régulier. En 2019, moins de 1,4 % d’entre eux étaient reconnus réfugiés ou demandeurs d’asile. Le HCR exhorte pourtant les pays qui accueillent ces populations à leur octroyer la protection internationale accordée aux réfugiés.[2] En avril 2021, le gouvernement équatorien comptait près de 431 200 réfugiés et migrants vénézuéliens sur son territoire, pour une population de 16,62 M d’habitants.[3]
Outre l’absence de permis de séjour qui les empêche d’exercer leurs droits fondamentaux, les Vénézuéliens en Equateur sont régulièrement victimes de xénophobie. En moyenne, 65 % des Vénézuélien.nes ont déclaré avoir été victimes de discrimination dans la rue. Les ONG signalent également un niveau élevé de violences verbales à l’égard des migrants, notamment des insultes et des menaces.[4] Ces actes racistes se déroulent dans tous les secteurs de la société, de la santé, à l’éducation, en passant par l’emploi et le logement et touchent aussi bien les adultes que les enfants. Cette discrimination renforce leur marginalisation au sein de la société équatorienne. Nombreux sont ceux qui peuplent alors les quartiers pauvres, les « barrios » des grandes villes comme Quito.
La plupart des Vénézuéliens travaillent dans le secteur informel, comme vendeurs ambulants, serveurs, livreurs à vélo, employées domestiques, coiffeurs ou musiciens. Le coup de frein économique induit par la pandémie a précarisé un peu plus leur situation. En Équateur, quelque 770 000 personnes gagnent moins de 100 USD par mois (4,5 % de la population). Ce sont eux qui ont été le plus durement touchés par la pandémie. Une étude de l’Institut national des statistiques et du recensement (INEC) révèle que ce groupe de population a enregistré la plus forte baisse de revenus entre 2019 et 2020 en raison des effets économiques de la pandémie. Au total, leur salaire mensuel a été réduit de 35 %. La pandémie de COVID-19 a laissé 6 familles sur 10 sans accès aux services de la petite enfance en Équateur, y compris à l’éducation pré-primaire. « La pandémie de COVID-19 a aggravé les conditions de vie déjà précaires des réfugiés et des migrants du Venezuela. Outre de graves répercussions sur la santé, la crise sanitaire a provoqué des perturbations économiques et exacerbé les risques en matière de protection », déclarait en décembre dernier Eduardo Stein, représentant spécial conjoint HCR-OIM pour les réfugiés et les migrants vénézuéliens.
Guayaquil
Guayaquil, deuxième ville d’Equateur avec 2,8 millions d’habitants et capitale de la province Guayas, abrite le plus grand complexe portuaire de l’Equateur. L’immense majorité du commerce international d’export et d’import passe par le Golfe de Guayaquil, faisant de la ville une place financière et commerciale. Le gonflement trop rapide de la cité, dû aux migrations rurales, crée de redoutables problèmes d’emploi.
Environ 200 000 Vénézuéliens se sont installés à Guayaquil, où ils cherchent à régulariser leur situation migratoire. L’accès à la nourriture, à l’emploi et à la création de ressources, ainsi que l’assistance juridique pour les processus de régularisation, sont les principaux besoins de la population en situation d’exil à Guayaquil. De plus, celle-ci rencontre de grandes difficultés à accéder à un logement sûr offrant des conditions de vie adéquates, dû au coût élevé des loyers en ville. Dans de nombreuses zones où s’installent les personnes en situation d’exil, des dynamiques de violence et d’insécurité sont dues à la délinquance, au crime organisé, à la consommation et à la vente de drogues, à l’existence de bandes de jeunes, entre autres, qui mettent en danger la sécurité de ces exilés et de la communauté d’accueil.
Macas
Macas est la capitale de la province Morona Santiago et compte 41 000 habitants.
Elle est située au bord du fleuve Upano et au loin, se trouve le volcan Sangay, un des volcans encore actifs du pays. Avec plus de 250 espèces de fleurs identifiées et 300 espèces d’oiseaux, cette région est l’une des aires protégées les plus variées du pays avec la moitié des formations écologiques d’Equateur et une variété d’habitats dû à la proximité des volcans.
Les projets visant à exploiter les ressources présentes sur les territoires autochtones font naître de vives tension entre les communautés locales et les autorités.
En août 2015, une manifestation pacifique de groupes du peuple indigène Shuar a été sévèrement réprimée par la police équatorienne à Macas. Dans cette province, les indigènes ont dressé une liste de revendications : un permis environnemental pour que la préfecture termine la construction de la route Macuma-Taisha, le retrait des amendements constitutionnels, l’ouverture d’une éducation bilingue interculturelle dans les communautés Shuar et Achuar, et le retrait de la consultation préalable dans les blocs pétroliers 74 et 75 et enfin la démission du gouverneur de Morona Santiago.
En août 2016, la communauté de Nankintz, au sud de la province de Morona-Santiago, a été expulsée par des moyens militaires afin de construire le camp minier de Panantza-San Carlos (consortium chinois pour exploiter le cuivre, l’or et le molybdène). De violents affrontements ont eu lieu entre les populations indigènes qui ont essayé de reprendre le contrôle du territoire et les forces de l’ordre, tuant un policier.
Le 14 décembre 2016, l’état d’urgence a été déclaré dans cette région, ce qui implique la « suspension des droits constitutionnels à la liberté d’expression, de réunion, de transit et d’inviolabilité du domicile ».
En 2017, deux soldats de l’armée équatorienne ont été retenus par les habitants du village de Yunkuapais, à 100km de Macas, afin de protester contre la militarisation de la région et les raids dans les villages.
En mars 2020, le camp minier de Panantza a été attaqué. Régulièrement des actions de revendications organisées par le mouvement indigène ont lieu dans la région.
“Nous remercions Humor y Vida, CSF et CLOG d’avoir mené à bien ce projet artistique qui a permis aux enfants et aux adolescents que nous suivons de sortir profiter d’un moment de détente et d’amusement après une année et demi de processus de confinements liés à la pandémie. Ce projet a également permis d’offrir un espace d’intégration entre la population locale et la population en situation de déplacement, notamment originaires du Vénézuela. Un grand merci et nous espérons avoir l’occasion de vous recevoir à nouveau en Equateur.”
Patricio Sevilla, Coordinateur de Pinchincha et Santo Domingo, FUDELA
Synthèse
Deux projets menés en équateur entre septembre 2021 et mai 2022
1) LA CASA DEL PAJARO MIGRATORIO
CSF est intervenu pour la premiere fois en Equateur du 22 septembre au 6 octobre 2021, à l’invitation de l’Alliance française de Quito et de la Casa Humboldt, Clowns Sans Frontières France et le chapitre allemand, Clowns ohne Grenzen, sont intervenus pour la première fois en Équateur. Ce projet a été mené en partenariat avec les artistes locaux du collectif Humor Y Vida.
12 représentations de spectacle et 2 ateliers artistiques co-créés par les artistes des 3 structures ont été proposés à plus de 1000 personnes, principalement des enfants.
Après avoir identifié avec le collectif Humor Y Vida leurs besoins en termes de renforcement de compétences, deux artistes de CSF, spécialistes de la construction de marionnettes géantes, ont fabriqué avec eux un oiseau géant. Le titre du spectacle, « La Casa del pajaro migratorio » (La maison de l’oiseau migrateur) devait symboliser le constat que la migration est un mouvement universel qui a toujours existé dans l’histoire de l’humanité.
L’objectif de ce projet, outre l’aspect de formation des artistes locaux, reposait sur la création d’un moment de répit et de bien-être à travers les émotions véhiculées par le spectacle et l’opportunité de réunir, le temps d’une représentation ou d’ateliers artistiques, deux communautés souvent en tension : les populations en situation d’exil (principalement vénézuéliennes) et les Equatoriens en situation de précarité avec qui ils partagent des espaces de vie, résidant dans les mêmes quartiers défavorisés de la capitale.
Après 2 ans de pandémie et de confinements successifs, ce projet a contribué à apporter de la joie aux enfants, aux artistes et à tous les adultes participants de manière générale.
2) AVES MIGRATORIAS
CSF est ensuite retourné en Equateur en 2022 pour mener la suite du projet entamé l’année précédente auprès de Humor Y Vida, toujours avec le concours de Clowns Ohne Grenzen.
Les artistes franco-allemands ont pu poursuivre le transfert de compétences à 4 artistes équatoriennes autour du jeu de clown, de la création et la manipulation de marionnette géante et de la mise en scène d’un spectacle mêlant des clowns et cette marionnette géante. Le spectacle a été co-construit sur place et présenté aux réfugiés vénézuéliens et aux Equatoriens en situation de précarité à Guayaquil, ainsi qu’aux communautés d’Amazonie résidant dans la région de Macas.
Au total, ce sont 10 représentations de spectacle et 6 ateliers artistiques qui ont eu lieu dans ces deux régions du pays. Elles ont touché plus de 2200 personnes dont une majorité d’enfants.
Le thème du spectacle est resté en lien avec la question de l’accueil de la différence, représentée à travers la symbolique de l’un oiseau migrateur.
Formes d’intervention :
- Ateliers de fabrication d’une marionnette géante avec des artistes locaux
- Spectacles et déambulation festive
- Ateliers artistiques et ludiques pour les enfants et adolescents en situation de vulnérabilité
Axes d’intervention :
- Soutien psychosocial des enfants et des jeunes vulnérables, en particulier les personnes en situation d’exil
- Collaboration artistique et transmission de compétences entre artistes français, allemands et équatoriens
- Sensibilisation des travailleurs sociaux et des éducateurs à la pratique artistique comme méthode d’accompagnement
Publics :
- artistes
- enfants et jeunes vulnérables pris en charge par les ONG locales (en situation d’exil ou de précarité)
- travailleurs sociaux
Partenaires opérationnels : Clowns ohne Grenzen, Association Humor y Vida, Alliance française de Guyaquil, Centro Cultural Aleman de Guayaquil, Municipio de Guayaquil, HIAS, OIM
Partenaires financiers et institutionnels : Alliance française de Quito et de Guayaquil, Fonds culturel franco-allemand ; Municipio de Guayaquil, Centro Cultural Aleman de Guayaquil, Casa Humboldt, Ambassade de la République fédérale Allemande en Equateur, l’Ambassade de France en Equateur , et le cluster EUNIC
[1] The Yale Review of International Studies, A “Growing Concern”: The Public’s Xenophobia Toward and Discrimination Against Venezuelan Migrants in Ecuador, Shannon Guerra, Mars 2021 : http://yris.yira.org/essays/4911
[2] https://news.un.org/fr/story/2019/05/1043911
[3] https://r4v.info/es/situations/platform/location/7512
[4] The Yale Review of International Studies, A “Growing Concern”: The Public’s Xenophobia Toward and Discrimination Against Venezuelan Migrants in Ecuador, Shannon Guerra, Mars 2021 : http://yris.yira.org/essays/4911
« J’ai appris des techniques de construction de marionnette géante, la manipulation de certains matériaux que je n’avais pas avant, et j’ai gagné en assurance pour exécuter cette construction, les peintures et l’utilisation d’outils et matériaux comme la perceuse, la scie, les mélanges de peinture, la colle, etc. Mais le plus grand apprentissage, pour moi, a été celui de l’aspect humain, qui inclut le jeu d’acteur et le travail artistique. J’ai tendance à être très frénétique, nerveux mais ici la sérénité et le respect étaient si présent dans le groupe qu’ils ont créé un vrai sentiment de sérénité en moi. Tout ceci, pour moi, a beaucoup de valeur et est unique. Comme j’enseigne également, l’attitude et la façon de travailler que j’ai apprises vont m’en inspirer pour mes cours ou dans d’autres processus futurs. »
Orlando Erazo Oñate, artiste de Humor y Vida